vendredi 24 août 2012

Romantique


Dans une semaine, nous serons sur le fleuve-frontière, le Niémen et cela tient encore de l'improbable pour les passionnées qui prendront la route.

Cela fait deux ans qu'on en parle. Et ça y, nous y sommes ! Toujours un petit doute, car il faut resserrer son col, quitter la certitude et se mettre en chemin vers les autres et nous même que nous cherchons, inconsciemment toujours et encore.

Ah! Ces chemins que nous aimons découvrir, qui commencent devant nos portes mais dont on ne connaît pas le bout. Seraient-ils derrière cette belle colline à l'horizon?

La veille du départ est assez irréelle, c'est une grande chance que nous avons. Aussi, débordant d'enthousiasme, nous essaierons de vous communiquer nos impressions.

Moins nombreux que prévus, le 18e partira sur la vieille route de Moscou, revêtue de la poussière des milliers de disparus en chemin. Comment ? Pourquoi ? Les livres nombreux, nous racontent cette effroyable tragédie. Pourquoi alors vouloir voir par nous même ?

Serait ce une maladie, une fièvre romantique ? Serait ce un vide mystérieux de notre siècle, difficile à décrire, mais palpable pour certain ? Tout cela mais pas seulement.

J'ai essayé de puiser dans les belles pages de Musset et de sa confession d'un enfant du Siècle, la réponse à notre quête. Qu'il me pardonne peut être ainsi que le lecteur, qui sera surpris par l'actualité du texte.

Ayant été atteint, dans la fleur de mon adolescence, de cette maladie morale, je raconte cette histoire. Si j’étais seul malade, je n’en dirais rien ; mais comme il y en a beaucoup d’autres que moi qui souffrent du même mal, j’écris pour ceux-là, sans trop savoir s’ils y feront attention; car, dans le cas où personne n’y prendrait garde, j’aurai encore retiré ce fruit de mes paroles de m’être mieux guéri moi-même, et, comme le renard pris au piège, j’aurai rongé mon pied captif.

Pendant les guerres de l’Empire, un seul homme était en vie alors en Europe ; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l’air qu’il avait respiré. Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; et lui, prenant avec un sourire cette fibre nouvelle arrachée au cœur de l’humanité, il la tordait entre ses mains, et en faisait une corde neuve à son arc ; puis il posait sur cet arc et ces flèches traversèrent le monde.

Jamais il n’y eut tant de nuits sans sommeil que du temps de cet homme ; jamais on ne vit se pencher sur les remparts des villes un tel peuple de mères désolées ; jamais il n’y eut un tel silence autour de ceux qui parlaient de mort.

Et pourtant jamais il n’y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs ; jamais il n’y eut de soleils si purs que ceux qui échèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d’Austerlitz.

Mais il les faisait bien lui-même avec ses canons toujours tonnants, et qui ne laissaient de nuages qu’aux lendemains de ses batailles.

C’était l’air de ce ciel sans tache, où brillait tant de gloire, où resplendissait tant d’acier, que les enfants respiraient alors. Ils savaient bien qu’ils étaient destinés aux hécatombes ; mais ils croyaient Murat invulnérable, et on avait vu passer l’empereur sur un pont où sifflaient tant de balles, qu’on ne savait s’il pouvait mourir.

Et quand même on aurait dû mourir, qu’était-ce que cela ? La mort elle-même était si belle alors, si grande, si magnifique, dans sa pourpre fumante ! Elle ressemblait si bien à l’espérance, elle fauchait de si verts épis qu’elle en était comme devenue jeune, et qu’on ne croyait plus à la vieillesse.

Cependant l’immortel empereur était un jour sur une morne plaine, d'où il fut repoussé dans une de ces îles qui parsème sa destinée. Au bruit de sa chute, les vieilles croyances moribondes se redressèrent sur leurs lits de douleur, et, avançant leurs pattes crochues, toutes les royales araignées découpèrent l’Europe, et de la pourpre de César se firent un habit d’Arlequin.

Alors les enfants sortirent des collèges, et ne voyant plus ni sabres, ni cuirasses, ni fantassins, ni cavaliers, ils demandèrent à leur tour où étaient leurs pères. Mais on leur répondit que la guerre était finie, que César était mort, et que les portraits de Wellington et de Blücher étaient suspendus dans les antichambres des consulats et des ambassades, avec ces deux mots au bas : Salvatoribus mundi . Le Romantisme naissait de ce manque. Est il tout à fait mort ?

Notre époque est de duvet, cela est blanc, agréable, chaud, , mais celui-ci nous grattent parfois la gorge et inquiet nous nous retournons et nous voyons orphelins du passé et en voulant avancer, nous hésitons vers l'avenir.

Alors s’assit sur notre monde en mutation une jeunesse soucieuse. Elle avait dans la tête tout un monde ; elle regardait la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide.

Les enfants du siècle regardaient tout cela, pensant toujours que l’ombre d'un César allait débarquer à Cannes et secouer notre monde endormi; mais le silence continuait toujours, et l’on ne voyait flotter dans le ciel que la pâleur de papiers s'envolant.


Quand les enfants parlaient de gloire, on leur disait : Faites des études ; quand ils parlaient d’ambition : Faites-vous une place sûre ; d’espérance, d’amour, de force, de vie : Faites-vous une place sûre.

Des tribuns et consuls du peuple nous dire que la gloire était une belle chose, et l’ambition aussi; mais qu’il y en avait une plus belle, qui s’appelait la liberté.

Les enfants relevèrent la tête et se souvinrent de leurs grands-pères, qui en avaient aussi parlé. ils se souvinrent d’avoir lu le soir, à la veillée, les récits de la Révolution parler d’un fleuve de sang bien plus terrible encore que celui de l’Empereur. Il y avait pour eux dans ce mot de liberté quelque chose qui leur faisait battre le cœur à la fois comme un lointain et terrible souvenir et comme une chère espérance, plus lointaine encore. Mais d'aucun leurs rappelèrent : "Reste en repos du moins ; si on ne te nuit pas, ne cherche pas à nuire." Hélas ! Beaucoup se réfugièrent là.

Mais comme toujours, la jeunesse ne s’en contentait pas.

Il est certain qu’il y a dans l’homme deux puissances occultes qui combattent jusqu’à la mort ; l’une, clairvoyante et froide, s’attache à la réalité, la calcule, la pèse, et juge le passé ; l’autre a soif de l’avenir et s’élance vers l’inconnu. Quand la passion emporte l’homme, la raison le suit en pleurant et en l’avertissant du danger ;mais dès que l’homme s’est arrêté à la voix de la raison, dès qu’il s’est dit : C’est vrai, je suis un fou ; où allais-je ? la passion lui crie : Et moi, je vais donc mourir ?

Un sentiment de malaise inexprimable commença donc à fermenter dans tous

les cœurs jeunes. Condamnés au repos par les souverains du monde, livrés aux cuistres de toute espèce, à l’oisiveté et à l’ennui, les jeunes gens voyaient se retirer d’eux les vagues écumantes contre lesquelles ils avaient préparé leur bras.

Tous ces gladiateurs frottés d’huile se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. Les plus riches se firent libertins ; ceux d’une fortune médiocre prirent un état et se résignèrent soit au bureau, soit à l'Etude ; les plus pauvres se jetèrent dans l’enthousiasme à froid, dans les grands mots, dans l’affreuse mer de l’action sans but. Comme la faiblesse humaine cherche l’association et que les hommes sont troupeaux de nature, la politique s’en mêla. On s’allait battre sur les marches de la chambre législative, on courait à la comédie Musicale ou la Star d'un jour portait une costume qui le faisait ressembler à César, on se ruait à l’enterrement d’un député libéral.

Mais des membres des deux partis opposés, il n’en était pas un qui, en rentrant chez lui, ne sentît amèrement le vide de son existence et la pauvreté de ses mains.

Et sur les chemins d'il y a deux cent ans, l'air de l'Epopée remplit nos poumons aux besoins modestes mais bien réels. Ce vent reste si puissant qu'il peut remplir, quand on le veut, le vide interstitiel de notre quotidien empressé.

Et d'orienter nos rencontre et nous pousser par un changement d'angle d'observation vers cet étrange individu plein de contradictions : nous même.

Gardarem lou Cap !

Henri




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